Si tu m’apprivoises
2022-2024
Je photographie Sonia depuis plusieurs mois. Cette jeune femme me fait penser à Zora la rousse, héroïne de mon enfance au lit fait de mousse, belle et farouche, sauvageonne au cœur pur. Sonia sauve des animaux pour donner du sens à ses errances. Son histoire de fille griffée se dévoile au fur et à mesure de mon intrusion entre les murs gris de son intimité et, par son intermédiaire, dans son quartier défavorisé des Dervallières à Nantes.
Toujours flanquée d’un berger allemand, dernière d’une fratrie de six, elle vit parfois dans l’appartement précaire de sa mère, parfois chez son père où une pièce a été transformée en volière. Sonia observe la fragilité du monde de leurs fenêtres. Impulsive, la sensibilité à fleur de peau, elle lâche sa chienne Venom contre ceux qui l’affrontent. Elle dit « elle est comme moi, elle mange ses émotions. »
Sonia soigne les animaux auxquels elle s’identifie : chats de gouttière, pigeons blessés et chevaux boiteux. Ayant une reconnaissance handicap en raison de ses troubles du comportement et suivie dans un institut, elle va régulièrement en stage dans des centres équestres. Elle qui préfère la compagnie des animaux à celle des hommes, me partage son regard désabusé sur notre espèce. Elle défie la société en faisant des « dingueries ».
Elle est à la fois emblématique – de la difficulté à se construire dans un telle instabilité et de notre besoin universel d’affection - et tellement singulière. Je fais des images d’elle entre enfermement et liberté sans limites, entre émotions sur le vif et poses construites ensemble. 19 ans aujourd’hui, elle n’a désormais plus le filet de la protection de l’enfance. Et une obsession : avoir un jour son propre cheval et un champ où il pourrait s’ébattre librement.
« Sonia, je cherche dans nos différences ce qui nous rapproche. J’entre dans les cases, tu débordes. Ta rage me rappelle qu’au fond de moi la rébellion s’est endormie. Tu sauves les animaux en détresse pour donner un sens à tes errances. Tu brandis tes griffures comme un manifeste. Je le signe en te photographiant. Et doucement, tu deviens pour moi unique au monde. »