Si tu m'apprivoises

La première fois que je rencontre Sonia, c’est au pied de son HLM du quartier des Dervallières, l’un des plus sociaux de Nantes (44) avec son lot de déshérités et ses nids de dealers. Nous sommes venues la chercher avec l'éducatrice qui l'accompagne dans le cadre d'un dispositif de l’aide sociale à l’enfance dédié aux jeunes comme elle, ceux qu'on dit "incasables". La travailleuse sociale a proposé à Sonia de l’emmener caresser des chevaux.

Loin de la ville, Sonia brosse en silence le flanc d’un vieil étalon alezan, abîmé, abandonné par ses propriétaires.
Soudain elle crie dans un murmure : « comment ils peuvent lui faire ça, ils n’ont pas de coeur ou quoi ! »
Elle me fait penser à Zora la rousse, héroïne de mon enfance au lit fait de mousse, belle et farouche, sauvageonne au coeur pur. Ce jour-là, je décide d’essayer de l’apprivoiser pour pouvoir la photographier.

Son histoire de fille griffée se dévoile au fur et à mesure de mon intrusion entre les murs gris de son intimité et de son quartier. Jeune femme au comportement impulsif, toujours flanquée de sa chienne, dernière d’une fratrie de six, elle vit parfois dans l’appartement précaire de sa mère, parfois chez son père où une pièce a été transformée en volière.
Sonia observe la fragilité du monde de sa fenêtre.

La sensibilité à fleur de peau, elle lâche sa chienne contre ceux qui l’affronte. Elle dit « elle est comme moi, elle mange ses émotions. » Elle soigne les animaux auxquels elle s’identifie : chats de gouttière, pigeons blessés et chevaux boiteux.
Elle qui préfère la compagnie des animaux à celle des hommes, me partage son regard désabusé sur notre espèce.
Elle défie la société en faisant des « dingueries ».

19 ans aujourd’hui, elle n’a désormais plus le filet de la protection de l’enfance.
Et elle n’a plus qu’une obsession : avoir un jour son propre cheval et un champ où il pourrait s’ébattre librement.

NANTES, 2023.