Ioana et la jupe rouge

C'est un conte documentaire. L’histoire d’une fille rom de 11 ans qui danse dans un bidonville de l’agglomération nantaise puis s’ennuie dans un HLM, passe son tour à l’école, porte un bébé sur sa hanche comme si c’était le sien, enfile une longue jupe rouge pour se sentir femme.
C’est l’histoire de toutes ces adolescentes qui veulent grandir trop vite, tous ces migrants qui croyaient trouver en France une vie meilleure.
C’est avant tout une façon de montrer, sans angélisme ni misérabilisme, le quotidien d’une enfant qui aime les siens et rêve en paillettes malgré la boue sur ses baskets.

J’ai rencontré Ioana dans l’école de mon quartier : elle habitait dans le bidonville le plus proche de chez moi et a été plusieurs années dans la même classe que mon fils aîné. A présent qu’ils sont collégiens, leurs trajectoires s’éloignent… Elle, buissonnière, tournant en rond dans une communauté où les femmes enfantent trop jeunes ; lui du côté de la société où l’école ouvre des portes.

La longue jupe que Ioana porte de plus en plus souvent est devenue un fil rouge. Habit initiatique marquant la sortie de l’enfance, d’après les traditions de sa communauté où aucune femme mariée ne se moule dans des jeans. Mais aussi habit symbolique d’un repli faute de trouver une place dans la société française.

Pas de mise en scène : Ioana virevolte dans sa jupe de velours rouge. Fragile princesse face à son sort, dans un royaume désenchanté. J’ai commencé à la photographier en 2019 dans le bidonville où elle vivait depuis 10 ans, puis dans le HLM où elle a déménagé avec sa famille juste avant le premier confinement. Le « terrain », où elle retournait avec sa famille pour retrouver le clan et prier à l’église, a été évacué suite à un incendie en avril 2021.

Nantes gagne le triste record de l’agglomération française concentrant le plus de bidonvilles : quelque 3000 habitants y vivent, la plupart sont venus de Roumanie et d’origine rom. Beaucoup travaillent chez les maraichers de la région. La politique de résorption des bidonvilles est lente à se mettre en place. Les relogements sont chaotiques, les expulsions encore trop courantes et les enfants trop nombreux à être déscolarisés.

J’ai transformé ce conte documentaire en film photographique, raconté par la voix de mon fils Séraphin : finaliste en 2020 du Prix des nouvelles écritures de FreeLens ainsi que du Prix du diaporama sonore Diapero (à visionner dans la rubrique FILMS PHOTOS).

NANTES, 2020-2021.